Il m'aura fallu comme un signe, un moment indescriptible et hors du temps pour me faire ressentir l'étincelle de ma passion pour le métier qui devait être plus forte au fond de moi que toutes les angoisses liées aux études et/où aux premières expériences décevantes en stage.
Je m'étais levée avec toute la misère du monde sur les épaules, en me faisant la réflexion de la non-motivation qu'ont toutes les personnes qui se lèvent avant 6h "Dans un peu plus de 12h, tu rentres chez toi". Bien sûr, j'avais fait en sorte de ne rien laisser transparaître de ma déprime car étant sous les protocoles de cet hôpital, les professionnels n'y pouvaient rien, et le fait déjà qu'ils m'enseignent beaucoup de choses alors qu'en 2ème année sur un tel lieu de stage nous sommes vides de connaissances
Voilà à quoi je ressemblais dans ma blouse verte, tout sourire, avec un petit bébé là dedans qui m'a valu des demandes gênées de la part de mes patientes, genre "Vous attendez un bébé vous aussi ?", avec la tête que l'on fait quand on a peur de faire une gaffe comme demander à une femme si elle est enceinte ou juste grosse !
Je répondais alors que oui, et à toutes les autres questions: "Oui ça va même si c'est fatiguant, mais quand on fait le métier qui nous plaît ça en vaut la peine" "Oui je vais accoucher ici" "Non, voir des accouchements ne m'angoisse pas plus que ça pour le mien
Et j'étais sincère ! Même si j'ai assisté à mes premières naissances et que malgré ma préparation vidéographique et bibliographique j'ai quand même fini par dire que "c'est une vraie boucherie parfois", j'ai toujours relativisé en me disant que chaque naissance est différente. Je fais vachement confiance à mon corps, et je me dis qu'avec une bonne préparation pour le jour J et un vécu de mon travail comme ça me semblera le mieux pour moi et mon bébé, il n'y a pas de raison que mon corps ne sache pas faire et que tout se passe bien !
D'ailleurs, j'adorais utiliser l'argument du "Votre corps sait faire, nous les femmes donnons naissance depuis des millénaires, au fond de vous vous allez trouver la force" avec mes patientes que je tenais dans les bras pendant qu'elles vacillaient de douleur (souvent avant la pose de la péridurale, ou lors d'un accouchement trop rapide pour qu'on la pose). Alors peut-être que je passais pour une prof de yoga perchée qui parle de shakras et d'alignement des lunes pendant que les contractions les labouraient, mais je les ai sentie réceptives, je crois qu'aucune n'a tenté de m'étriper d'ailleurs ! Enfin, quand on leur posait leur bébé sur le ventre, elles oubliaient toute envie de meurtre !
Tenir les patientes tout contre moi et leur parler dans l'oreille comme vous voyez sur l'image était l'une des rares choses que je pouvais faire à mon niveau, et c'est quelque chose que j'ai adoré ! C'est ce qui se rapproche plus de ma passion, un métier d'entraide, de femme pour les femmes...
Mais revenons à cette avant dernière journée de stage.
Comme tous les matins,
- je me suis changée dans les vestiaires tout serrés serrés où il faut faire de la gymnastique pour ne pas que tes fesses touchent celles de la personne qui se change à côté de toi "Oh bonjour madame la sage-femme ! Si votre caractère est aussi doux que vos fesses je veux bien que ce soit vous qui m'encadriez aujourd'hui !!"
- je suis allée posée ma gamelle dans le frigo en pestant contre le mâle qui m'avait piqué ma dernière crêpe lors de sa flemme de cuisiner pour faire sa propre gamelle de stage, le saligaud
- je suis allée dans la salle de transmissions, où comme dans tous les stages je devais trouver la place stratégique pour ne pas gêner la circulation de quelqu'un, en regardant discrètement sur le tableau blanc le nombre de femmes en travail qui illustre si les prochaines minutes vont être plus ou moins sportives
- je suis allée me présenter à une sage-femme en donnant mon rang de promotion, quand je dis "Bonjour, je suis Audrey, étudiante sage-femme de Ma2, est-ce que je peux vous suivre aujourd'hui ? " il faut comprendre "Bonjour, je suis un boulet vivant, qui d'ailleurs va t'annoncer dans les prochaines minutes que c'est un boulet avec un boulet dans le ventre, est-ce que je peux te traîner dans les pattes aujourd'hui mais faire de mon mieux pour t'aider (courir chercher les bassins, ça je sais faire !) ?"
Une fois présentée à cette sage-femme avec qui j'avais particulièrement un bon feeling, on est allées accueillir notre premier couple de la journée (qui allait être finalement le seul que j'allais suivre ce jour là). Un deuxième enfant, un mari blagueur, une femme patiente et souriante, qui allait mettre au monde son premier petit garçon attendu avec impatience par la grande soeur (grande soeur qui attendait juste le cadeau que son petit frère allait lui offrir, en fait).
L'avantage des journées où on ne suit pas 3 mais 1 couple, c'est qu'on a du temps pour eux. Du temps pour discuter avec eux, du temps pour rire aux blagues pourries du mari et pour enchaîner avec ses propres blagues pourries, le but étant de faire rire la mère et faire descendre ce bébé ! Du temps pour apprendre à les connaître, rentrer dans leur bulle, connaître leur monde et créer un lien si particulier dans l'attente de la rencontre avec leur enfant.
J'ai découvert un autre aspect fantastique de ce métier, on découvre des dizaines de cultures, des dizaines de combinaisons possibles de couples, avec chacun leurs histoires, leurs vécus de la parentalité et leurs manière d'appréhender cette journée. On tisse des liens forts avec certains, et on est très heureux de pouvoir les suivre de leur arrivée dans le service jusqu'à leur remontée en chambre en suites de couches.
J'ai donc passé la journée avec eux, à discuter, à imaginer ce petit garçon qu'on allait découvrir. La sage-femme me faisait faire des gestes, m'apprenait à localiser le bébé dans le ventre, chose qui s'avère vachement complexe, où j'ai juste une fois sur deux ! En même temps, sur moi c'est plus facile car vu les coups que je me prends au choix sur l'estomac ou la vessie, j'ai vite fait de localiser mon bébé !
Vers 17h, d'un seul coup tout s'est accéléré, alors que quelques minutes avant on se disait que ce n'était pour tout de suite et qu'avec le manque de chance on allait manquer cet accouchement qui se déroulerait après la relève... La sage-femme m'a fait m'habiller comme elle, en stérile, et comme à chaque fois que je dois mettre des gants stériles je me suis battue pendant encore 2 minutes avec les doigts, en me disant pour la énième fois lors de ce stage "Il faut vraiment que je m'entraîne à mettre ces gants de satan et arrêter d'être un boulet, vu comme la sage-femme et l'AP me fixent je dois vraiment avoir l'air de l'idiote du village".
Quand la femme a commencé à pousser, la sage-femme m'a proposé quelque chose à laquelle je ne m'attendais absolument pas pour ce stage. Je suis passée devant elle, j'ai posé mes mains sur le bébé qui arrivait, elle a posé ses mains sur les miennes et j'ai aidé cette femme à mettre au monde de mes mains ! C'était un sentiment incroyable, incroyable de sentir la douceur de la peau de ce bébé sous mes gants, incroyable de sentir la force de poussée lors de l'expulsion à tel point qu'il faut freiner le bébé, incroyable de dégager les épaules... Ce sentiment m'a pris du fond du ventre, me faisait les jambes en coton, et quand j'ai pu poser le bébé sur le ventre de sa mère, j'ai eu un flot intense d'émotions !
J'étais dopée à la passion, dopée à la motivation. Je me suis dit que c'est ce que je voulais faire depuis toujours, que la chance de pouvoir toucher un enfant qui est à mi-chemin entre la vie intra et extra-utérine était précieuse et loin d'être donnée à tout le monde. Je me suis dit que je me battrai, pour jumeler au maximum mes études et ma vie de maman, que j'aurai ce diplôme et que je trouverai un endroit qui me plaira pour exercer. Parce que cette sensation est trop exquise pour que je passe à côté, et que le premier cri d'un enfant sous le regard bienveillant de ses parents n'a pas de prix.
Ce stage s'est achevé le lendemain, ce stage où j'ai eu des tas d'émotions contradictoires. La prochaine fois que je retournerai dans ces lieux, dans ces salles de naissances, ça sera en tant que patiente, et là bizarrement, je n'irai pas à reculons, je n'aurai qu'une seule hâte c'est de rencontrer ma toute petite !