Pour m'éviter les répétitions dans mes mails, voici les liens qui répondent à l'éternelle question du "COMMENT ON FAIT SAGEUUUH-FEMMEUUUH?"

dimanche 29 novembre 2015

Ancrer nos convictions féministes dès le début de notre formation

Elle s'appelle Matilde; non, son prénom n'est pas écorché, elle vient seulement d'Italie. Elle a débarqué en France à 18 ans pour devenir sage-femme, et s'est battue 2 ans pour au final réussir à intégrer notre promo. 

Elle a tout de suite posé la couleur: elle vient de bologne, là où on fait la bolognaise (elle est d'ailleurs prête à assassiner quiconque essaiera de lui faire manger des pâtes avec de la bolo industrielle Panzani), et elle a tendance à être complètement tarée, mais c'est bien les gens tarés, au moins c'est honnête et pas très compliqué. 

Pourquoi n'a t-elle pas fait sage-femme en Italie, pourquoi est-elle venue se casser le cul compliquer la tâche en passant par cet infâme concours ? Parce qu'au delà de l'appréhension du concours, elle avait une conviction qui valait tous les sacrifices du monde: Matilde est profondément féministe.

En Italie, les sages-femmes sont vraiment peu reconnues (encore moins qu'en France, c'est vous le dire), et c'est l'un des pays d'Europe où l'on déplore énormément de violences obstétricales, et d'objections au droit à l'avortement.
Elle aime ce métier plus que tout, et a envie de changer les choses, passer le concours dans un pays où le métier était du niveau Master avec une plus grande autonomie était donc un choix qui valait le coup. 

Elle dit haut et fort ce qu'elle pense, Matilde. Elle hésite pas à dénoncer l'injustice, le slut-shaming, la manipulation pro-vie: tous les sujets qui me font hurler à l'injustice et à la régression. Quand je suis à côté d'elle en classe et que le prof dit des conneries plus grosses que lui, je sais que je ne serai pas la seule à me lever de ma chaise. Quand je me bats pour faire reconnaître les compétences du métier de sage-femme, je sais qu'elle sera derrière pour prendre le relais. 

Matilde est allée en stage en suites de naissance: là où les mamans, encore fatiguées par leur accouchement, sont hospitalisées quelques jours pour vérifier que tout va bien. Elles sont inspectées, stressées, et leur bébé est pesé, touché, mesuré de tous les côtés. 
Malgré les beaux moments qu'elles sont censées vivre en profitant de leur tout nouveau-né, on ne peut malheureusement pas nier le stress que la médicalisation engendre, et surtout, le comportement des soignants qui est banalisé après des années d'expérience. 

Lors de notre retour de stage, où nous devions faire part de nos ressentis, elle s'est levée d'un seul coup, et nous a lu un texte qu'elle avait écrit. 

"Parce-que la notion de respect de l’intimité au sein du CHU me parait difficile à cerner, et parce-que j’ai observé au sein du service en suites de couche certains comportements qui m’ont indignée, voici les pensées que je tiens à vous transmettre.
Conformément à la Charte du Patient hospitalisé, tout soignant se doit d’assurer la qualité de l’accueil, des traitements et des soins. « Il met tout en œuvre pour assurer à chacun une vie digne ». Je tiens à souligner aussi que : « La personne hospitalisée est traitée avec égards. Ses croyances sont respectées. Son intimité est préservée ainsi que sa tranquillité. »
En tant que soignantes, nous devons ce respect à nos patientes. De part parce-que, meme si pour un court delai, leur chambre d’hopital devient leur domicile, et que donc à chaque fois qu’on entre dans cette pièce on s’introduit un peu chez elles. D’autre part aussi parce-que pendant ce sejour elles vont nous confier des choses qui les concernent et qu’elles ne disent ni ne montrent peut etre pas à tout le monde. Ces femmes s’ouvrent à nous et ceci ne nous doit pas paraitre à nos yeux comme quelque chose de normal, qui nous est du afin d’assurer un bon suivi des soins, mais comme quelque chose qui nous est permis, autorisé
Ce respect qu’on leur doit va du fait d’écouter quand on frappe à leur porte si nous pouvons entrer ou pas, au fait de demander si on peut effectuer leur examen clinique et bien d’autres choses encore. Ceci quel que soit leur niveau de pudeur et d’intimité.
Pour parvenir à respecter cette intimité et gagner la confiance de mes patientes, je me suis souvent posée la question : « Est-ce que j’aimerais si… ? ».
Est-ce que j’aimerais qu’on entre continuellement dans ma chambre et parfois meme sans que j’ai donné mon autorisation ?
Est-ce que j’aimerais qu’on exprime mon sein sans qu’on me le demande ?
Est-ce que j’aimerais si, pendant que j’allaite, une ASH passe le balai et laisse ma porte et ma fenetre ouvertes ?
Est-ce que la barrière de la langue et de la maladie justifie un suivi moins agréable et qu’on s’entretienne moins longtemps avec moi qu’avec les autres patientes ?
Est-ce que j’aimerais qu’on parle dans mon dos dans le couloir avec la porte de ma chambre entrouverte ?
Ou, au contraire :
Est-ce que j’aimerais qu’on fasse des remarques positives sur mon corps et sur ma santé ?
Est-ce que j’aimerais qu’on me demande l’autorisation avant d’accéder à mon corps ?

Réflechissez-y , et je pense que vous aurez la réponse lorsque vous vous demanderez : « Et la patiente dans tout ce vacarme ? Que ressent-elle ? »."

Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire, tous comme nos professeurs, sages-femmes de profession, qui ont pour objectif de faire de nous des soignantes bienveillantes et qui savent se remettre en question. Ce texte sera imprimé, et donné à toutes les étudiantes de l'école, pour nous faire réfléchir, pour faire de la future génération de sages-femmes des professionnelles (voire professionnels, mais nous n'avons que des femmes dans les promos pour cette année) à l'écoute de leurs patientes et dans le respect de la naissance.


2 commentaires:

  1. C'est difficile, quand on est jeune étudiant.e, d'oser remettre en question, critiquer, prendre la parole, même quand on sait qu'au fond on a raison et que le comportement des professionnel.les qui nous encadrent ne sont pas sans conséquences.
    Je suis moi aussi profondément féministe, mais je manque parfois de courage, et j'ai l'impression de ne pas pouvoir grand chose contre ces personnes diplômées depuis des années et aux idées bien arrêtées...
    J'ai quand même eu de la chance ! Je suis tombée en stage sur une gynécologue très respectueuse de ses patient.es qui a toujours fortement insisté sur la particularité de l'examen gynéco et sur l'extrême nécessité du climat de respect et de confiance. Ca c'était chouette.
    Ce qui était moins chouette c'est les propos sexistes de certain.es profs, et le malaise de voir que peu de gens réagissaient...
    Au final, ce qui me fait le plus mal, c'est surtout la mentalité de ma promo. Quand on voit que certain.es sont anti-avortement, ouvertement homophobes et transphobes, ouvertement racistes, méprisent (déjà !) les patient.es... J'ai beau me dire que mes idéaux à moi sont bien accrochés, j'ai peur pour les soignant.es, et surtout les patient.es de demain...

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  2. Bravo, pour cet article et ce texte. Continuez d'être autant motivée et avec autant de convictions, c'est ce qui vous fera tenir. Gardez votre confiance, vos valeurs et votre particularité. C'est ce qui fera de vous une excellente sage-femme. Nous sommes des femmes comme nos patientes alors respectons les autant que l'on aimerais l'être. Merci pour cette réflexion. Ça fait du bien cette humanité !!

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