J'ai très sincèrement la sensation d'être passée sous un camion,
puis prise dans une tornade qui m'a déposée dans un lac gelé où j'ai galèré à
rejoindre la rive où des crocodiles m'attendaient, et quand j'ai enfin retrouvé
mon chemin, j'ai marché sur un râteau comme dans les dessins animés du dimanche
matin:
Quoi ? Moi exagérer ?
C'est connu que les premiers pas dans la maternité sont un
ouragan. Un ouragan dans ton utérus, dans ton périnée, dans ton couple, et
surtout dans ta tête... Enfin, moi c'était surtout dans ma tête (et dieu sait
que ça tourne pas rond là dedans de base) (et bien sûr, ça ne s'applique qu'à
ma tête, parce que chacun vit sa façon d'être môman différemment même si je
pense qu'au bout du 6ème réveil nocturne on est toutes égales face à l'envie de
se jeter par la fenêtre)
Au bout de 9 mois de grossesse, dans toute ta grosseur et ta candeur, en préparant le petit
berceau et te pliant en deux pour faire la valise entre deux allers-retours
pour faire ton pipi tous les quart d'heure, tu as acquis une capacité à filtrer
ce qu'on te dit, surtout ne pas écouter le négatif, les aigries qui te disent
"Adieu la liberté !" "Profites-en pour dormir" "Tu
verras c'est trop dur les dents !" (Ginette, t'es bien brave, l'humain que
j'ai dans le ventre vient à peine d'avoir des ongles pour me griffer, alors
laisse lui le temps de me mordre).
"Alors oui, c'est bien connu, un bébé ça pleure, pas besoin
d'avoir un doctorat en bébé-terie. Mais bon, après tout, quand ils ont tété et
la couche propre, ils se rendorment tout de suite les nouveaux-nés !" Tu comprendras que t'avais tort, à
ta 4ème nuit de maman, quand tu te retrouveras coincée entre 2h et 6h du matin avec un
nourrisson qui a la couche propre, l'estomac plein, mais qui est en pleine
forme en train de gesticuler et de te menacer d'hurler si tu daignes t'endormir
(je pense sincèrement que les nouvelles voitures qui détectent quand le
conducteur s'endort sont inspirées du fonctionnement des bébés humains).
Comment décrire les premiers jours en tant que maman ? La sensation d'un lendemain de cuite sans alcool, où la fierté
d'avoir mis ce petit truc au monde te sert de caféine pour assumer les visites.
Même si t'as souvent envie de les dégager ces visites, parce que pour une fois,
ton petit humain dort contrairement à la nuit précédente, et qu'ils osent te
dire "Vous avez de la chance, votre bébé et si calme et paisible".
Pas de soucis, cette nuit je t'envoie ma dose de paisibilité en te maintenant
réveillé sans raison ! Tu verras c'est super chouette, pour t'occuper tu
regarderas des séries, tu pourras prendre des actions chez Netflix.
Et puis comme on dit, c'est provisoire. Les bébés font leurs
nuits entre 2 et 4 mois en moyenne paraît-il. Et puis toi t'es vachement
optimiste, tu te dis que ton amour de bébé il sera sympa, déjà tu passes un
partiel quand il a 3 semaines (et que tu marches toujours pas droit, alors va
tenir assise sur une chaise d'examen toi), il aura au moins la gentillesse de
faire ses nuits en septembre quand tu reprendras les cours pour de bon.
La vie te rattrape. T'as vécu un moment hors du temps, sans
baby-blues, certes encore plus zombie que le zombie le plus plein de vers de
Walking Dead. Mais tu tiens le coup. Ton bébé commence à tousser, d'abord
toutes les 2h, puis toutes les heures. Chez le médecin, c'est pas grave, c'est
qu'un petit virus, lavez lui le nez. Tu reprends les cours, tu as cette sensation
de vibration dans ton ventre, ce lien encore si intense avec ton tout petit que
tu allaites, qui a à peine un mois et que tu dois laisser au choix à son papa
ou à ta meilleure amie, car trop petite pour la crèche. Vous courez entre
l'école, la faculté, l'appartement. Tu te la joues vache Milka avec ton
tire-lait qui déclenche des rires de dégoût à tes copines, en même temps, t'as
vu ta dégaine ? Mais faut lui donner des anticorps à ce bébé, il tousse ce
bébé. Tu retournes chez le médecin, c'est toujours une virose, faut toujours
lui laver le nez. Le bébé tousse pendant plusieurs longues secondes, il tousse
comme ça plusieurs fois par heures, jour et nuit. Tu es pris dans un rythme
assez fou, ton bébé a presque 2 mois, dont 1 mois où il ne fait que tousser. Et
paf, ça retombe.
Tu retombes du plus gros nuage de toute ta vie, toutes tes
chutes d'avant (oui, même quand tu t'es cassée Le Bras en faisant l'indien sur
la balançoire) (oui, même quand t'as fait la piste rouge verglacée au ski en
pensant que c'était une piste bleue) sont du pipi de chat à coté de celle là.
"Les filles, j'ai peur, j'ai peur de pas y arriver avec
elle, je suis fatiguée, c'est vraiment dur". C'est plus la même fatigue
qu'avant, mais ça, tu vas le comprendre beaucoup plus tard.
Tu vas en avoir marre, et après avoir vu ton bébé tousser pour
la énième fois, après avoir arrêté de croire que c'était une virose, après
avoir vidé des litres de sérum physiologique dans ses narines, tu vas aux
urgences. La coqueluche. 2 semaines de réanimation pour ton tout petit. Les
allers-retours entre l'école, la chambre d'hôpital, ton appartement. Tirer ton
lait toutes les 3h jour et nuit pour l'aider à guérir plus vite, pour qu'à ton
échelle tu puisses lui donner de l'amour et des anticorps dans sa sonde.
Devenir influençable, découvrir que les mots des autres te touchent plus que
tout, et voir le négatif l'emporter sur le positif. Supprimer instagram d'un
coup, parce que "quelle mère ose exposer la vie de son enfant comme
ça". Voir les regards condescendants des infirmières en pédiatrie quand tu
rentres à 22h au lieu de dormir sur la chaise vers ton bébé, car elles ne
savent pas que quand tu n'es pas sur place, c'est parce que tu es étudiante
avec une présence obligatoire en cours.
Ton bébé rentrera presque 3 semaines après à la maison. Tu as eu
tellement peur pour lui. Et suite à ça, ton bébé sera plus fragile que les
autres, il faudra le protéger des microbes. Aussi, il va continuer à tousser
ton bébé, même si le germe n'est plus là, ses bronches sont fragilisées. Tu vas
vivre dans un espèce de brouillard, avec une chaine au pied. Le brouillard,
c'est cette fatigue permanente, qu'on ne comprend pas dans ton entourage, après
tout, t'es pas la première ni la dernière dont le bébé ne fait pas ses nuits.
La chaine au pied, c'est les responsabilités dues à l'école, c'est la
culpabilisation parce que tu n'as plus la force d'allaiter, c'est la honte
parce que tu n'es pas la mère que t'avais imaginée être, parce que tu n'es pas
heureuse et épanouie, c'est l'angoisse au ventre de la voir malade à nouveau.
Tu redouteras d'autant plus le regard des autres mamans, parce que les autres
mamans, elles disent toutes qu'elles aiment leur bébé plus que tout sans
conditions, parce que leur vie a repris un sens quand il est arrivé, parce
qu'elles se révèlent dans la maternité. Et toi, c'est tout le contraire. Mais
tu mettras ça sur le dos de la fatigue.
Tu vas enchaîner, les cours, les papiers, la nounou, un stage, 2
gastros, des partiels. Des journées que tu appréhendes seule avec ton
tout-petit parce que tu sais qu'il n'y aura pas de pause, parce que ce petit
que tout le monde décrit comme "calme et adorable" ne dort pas la
journée, et encore moins la nuit, mais ça, les autres ne sont pas là la nuit
pour le voir. Tu vas être terrorisée des repas de famille, de la foule, des
gens qui s'approchent avec leurs mains de ton bébé, parce qu'il faut le
protéger des microbes, parce que s'il est encore malade, il dormira encore
moins cette nuit. Parce qu'il va te réveiller toutes les demi-heures toutes les
nuits pendant 7 mois. Pas étonnant que tu sois fatiguée non ?
Et un jour, sans expliquer pourquoi, en cours d'anglais, le
brouillard se lève d'un coup. Tu te sens légère, soulagée. Tu trouves ton chéri
magnifique, tu ne l'avais pas regardé avec tant d'amour depuis si longtemps
bien que ça aille très bien entre vous... Et ton bébé, il a changé ton bébé !
Ton bébé qui avait des fous-rires qu'avec son papa commence à en
avoir avec toi. D'ailleurs, ton bébé a l'air plus heureux. Tu le trouves si
drôle, si beau, si merveilleux. Ton bébé continue à tousser, mais ça le
réveille de moins en moins la nuit. Au bout de 7 mois, ton bébé fait enfin ses
nuits. Tu n'as plus de raison d'être fatiguée, mais tu as quelque chose d'autre
à évacuer. Ton ostéopathe va te lâcher le mot.
"Dépression post-partum"
En lisant les symptômes dans ton guide de la sage-femme, ça va
te paraître évident. À ton entourage aussi, ça va être évident. Mais bon, il y
avait de quoi accuser la fatigue vu les bagages que tu traines.
Tu connaissais ce truc, tu avais lu des tas de témoignages, tu
entourais sans juger ces mamans qui sont passées par là. Et t'as pas été fichue
d'admettre que oui, t'étais en plein dedans. Tu vas en parler, et tu vas peu à
peu scier les chaînes à tes pieds. Au revoir la peur des microbes, depuis que
tu n'y fais plus attention, ton bébé n'est plus tombé malade. Au revoir la
culpabilisation, parce que ça y est, tu l'as cet amour transcendant, qui t'en
fait trembler quand tu te penches au dessus du lit de ton bébé. Au revoir, la
peur du regard des autres, que ce soit par rapport aux mamans de la vraie vie,
par rapport aux gens de la vraie vie, voire par rapport à l'image qu'on peut
avoir de moi en vrai
Au revoir la dépression post-partum, tu m'auras, toi et ton
acolyte la coqueluche, bouffé des mois de bonheur avec mon tout-petit.
Mais tu m'auras appris plus que jamais à ne pas juger les autres
mamans, et à assumer qui je suis.
La maman que j'ai imaginé, avec le bébé encore plus drôle que
j'avais imaginé.